La vérité et le pardon au service de la réconciliation

Je remercie vivement les organisateurs de ce Congrès, en particulier le P. Amand KANA qui m’a approché, qui ont accepté de prendre le risque de me confier cette tache de vous introduire dans le sujet.

J’ai eu un moment d’hésitation pour divers motifs, mais quand je me suis souvenu que j’avais affaire à des croyants comme moi, je me suis senti le courage de venir vous partager simplement mes convictions. Ces convictions tirent profit d’une certaine méditation sur la Parole de Dieu, de ma participation à la deuxième Assemblée

Spéciale du Synode des Evêques pour l’Afrique qui portait justement sur l’Eglise en Afrique au service de la Réconciliation, de la Justice et de la Paix ; puis du synode diocésain que nous venons de vivre à Ngozi portant sur l’édification d’une culture de paix et de réconciliation au Burundi. Bien que le temps m’ait manqué, j’ai pu aussi feuilleter tant soit peu les parutions suivantes :

· Pape Jean XXIII, Lettre Encyclique « Pacem in terris », 1963

· Pape Jean Paul II, Lettre Encyclique « La Splendeur de la vérité », 1993

· Pape Benoît XVI, Lettre Encyclique « Caritas in Veritate », 2009

· Pape Benoît XVI, Exhortation Apostolique post-synodale « Africae Munus » 2011.

· Monsengwo Card Laurent, Catéchèse donnée au Congrès eucharistique de Dublin sur « Communion et réconciliation », à partir de l’Epître aux Ephésiens, Dublin 2012.

· Monbourquette Jean, Comment pardonner?, Paris, Ottawa, 1992

· Hubaut Michel , Pardonner oui ou non ? Desclée de Brouwer, Paris 1992

· Bour Alfred P., Trente Méditations au service de la paix, Paris, 2003

Chers amis du Renouveau Charismatiques Catholiques, qui dit « réconciliation » dit « conflit » et qui dit « conflit » dit divergence de vues ou d’appréciation, perturbation des relations et même rupture de communion entre deux protagonistes : individus ou groupes. Dès lors qu’il y a cette divergence, le besoin de restituer la vérité s’impose, et dès lors qu’il y a perturbation des relations, rupture de communion, le besoin de rétablir ces relations et cette communion s’impose. C’est ici, me semble-t-il, qu’il convient d’introduire dans le sujet le concept de « justice » aux côtés de celui de « pardon ». Mais alors, qu’entendons-nous par « vérité », par « justice », par « pardon » et par « réconciliation », termes actuellement en vogue, avec des personnes qui se présentent désormais comme des experts dans la « résolution pacifique des conflits » ? Il est important d’essayer de décrire le contour de ces termes, car souvent leur compréhension dépend des convictions de celui qui les définit.

1. LA « VERITE » POUR LA RECONCILIATION

1.1 La question de la vérité

Il s’agit d’une question qui est aussi vieille que le monde. La recherche de la vérité est à l’origine des sciences et du développement de celles-ci ; car la première des sciences ce fut la philosophie. Or la philosophie, c’était la recherche de la sagesse par la découverte de la vérité. On était convaincu qu’en connaissant la vérité sur toute chose, le comportement devait être conséquent et correct. Actuellement, malheureusement, la culture postmoderne cultive une tendance très accentuée de relativiser l’absolu tout en absolutisant le relatif, si bien que la vérité est en crise, chose que les deux derniers Papes n’ont cessé de dénoncer, notamment dans l’Encyclique de Jean Paul II, La Splendeur de la vérité (n.32) ou dans celle du Pape Benoît XVI, « Caritas in Veritate ». Par ailleurs, la question de la vérité n’est pas seulement une affaire de connaissance scientifique ou philosophique, elle a aussi taraudé les politiciens. Rappelons-nous du procès tristement célèbre que Pilate eut à faire à Jésus. Quand Jésus répondit à ce Juge : « Je suis venu rendre justice à la vérité», celui-ci répliqua : « qu’est-ce que la vérité ? »(Jn 18,37-38). Une façon, peut-être, de lui dire qu’en politique, il n’y a de vérité que celle des princes régnants ! Jésus n’a pas donné à cette occasion une réponse théorique à cette question hypocrite, mais il donna sa réponse dans son acte. 2

Nous en concluons que la recherche de la vérité est importante pour tout le monde dans la mesure où celle-ci est considérée comme un pilier incontournable pour bâtir la vie en société. Chaque fois que des gens construisent leur projet de société sur la vérité, leur entreprise a des chances de perdurer dans le temps, tandis que l’inverse condamne toute entreprise à être sans lendemain. Nos ancêtres ne le disaient-ils pas en affirmant « ikinyoma kimara umunsi ntikimara umwaka », un mensonge peut durer à la limite une journée mais il ne durera pas une année ! Ou mieux « ukuri guca mu ziko ntigusha», la vérité passe à travers le feu et ne meurt pas, une façon d’affirmer péremptoirement que la vérité résiste à toute épreuve, même celle mortelle.

1.2 Mais alors, de quelle vérité parlons-nous ?

Nous prenons souvent pour vérité, des conséquences de la vérité, sans parfois nous interroger pour arriver à la vérité qui donne sens aux autres vérités. Par exemple, quand on te montre un arbre en disant : « ceci est un arbre » et que tu dis : «c’est vrai, c’est un arbre », en vertu de quoi tu dis que c’est vrai, que c’est conforme à la réalité ? N’est-ce pas parce que cela a été dit par un homme qui a reçu de son Créateur le droit de donner un nom à la réalité en appelant les choses par leurs noms ? (Voir Gn 1-2). Pourquoi est-ce que notre époque postmoderne a tendance à tomber dans un relativisme qui tend s’absolutiser ? N’est-ce pas parce qu’elle fait tout pour faire oublier qu’il y a un fondement à toute vérité ? A la question de Ponce Pilate, Jésus n’a pas justement voulu donner une réponse théorique, car pour qui l’avait suivi, il avait déjà donné cette réponse en affirmant : « Je suis la voie, la vérité et la vie » (Jn 14,6 ). Affirmation qu’on peut aisément traduire par : je suis le chemin qui conduit à la vérité en vue de la vie. Certes, la vérité peut être considérée sous plusieurs facettes qui font qu’il y ait divergence sur elle : il y a la vérité culturelle, la vérité idéologique, la vérité historique, la vérité des faits etc. Mais la vérité qui nous intéresse, c’est celle dont la connaissance nous rend libres. « Vous connaîtrez la vérité, dit Jésus, et la vérité vous rendra libres » ( Jn 8, 32). Et cette vérité là se trouve dans l’homme-Dieu, car il est venu en se présentant comme la « vérité ».

C’est donc en contemplant l’homme-Dieu et en accueillant l’Esprit, le seul capable de nous faire parvenir à la vérité tout entière (Jn16,13) que nous découvrons la vérité sur Dieu, la vérité sur l’homme et la vérité sur la nature. Retenons déjà à ce niveau que c’est en contemplant le Fils de Dieu, dans l’Esprit que nous sommes en mesure de connaître la vérité qui libère en vue de notre réconciliation. C’est en partant alors de cette vérité sur l’homme, que nous pouvons comprendre comment la vérité se présente comme la racine de l’arbre de la réconciliation et de la paix. Et quelle est cette vérité-là ? C’est que nous tous, nous avons été créés par un même Père qui nous a faits « à son image et à sa ressemblance » et qui nous a bénit (Gn 1, 26-28). De ce fait, nous avons tous une dignité inaliénable et égale de par la volonté et l’amour de notre Créateur. Nous avons une égale dignité, une dignité sacrée d’être Fils de Dieu qui est Père à nous tous et il nous a délégué un certain pouvoir de donner le nom à toute chose et de dominer sur sa création.

Cette dignité fondamentale est égale pour tous : blancs, noirs, jaunes, métis ; hommes, femmes, enfants, vieux, personne humaine embryonnaire, personne âgée à deux doigts de la mort etc. C’est dans la mesure où nous nous reconnaissons cette première dignité égale pour tous et que nous promouvons cette vérité, que nous sommes à même de construire des relations saines au sein de nos communautés, et de justes rapports dans nos sociétés politiques. Quand nous reconnaissons pour chacun et chacune cette dignité fondamentale, même si nous n’avons pas la même stature sociale, les mêmes responsabilités politiques, les mêmes possibilités économiques, nous pouvons vivre réconciliés et en paix avec les autres.

Cette même reconnaissance d’une égale dignité, nous pousse à voir que nous avons besoin les uns des autres ; et que nous avons même besoin de tout ce qui est autour de nous, l’environnement pour la sauvegarde et la promotion de notre dignité. En plus, en reconnaissant que nous avons une dignité égale, nous reconnaissons que nous avons les mêmes droits d’avoir accès à ce qui contribue à la promotion de cette dignité. Cette première vérité qui concerne la reconnaissance de l’égale dignité pour tous trouve son expression concrète dans nos relations sociales et elle est aidée et soutenue par une bonne organisation des institutions de gestion de la société, des institutions qui doivent garantir à chaque citoyen un égal accès aux biens et services communs. On peut dire que toutes les autres vérités, ce sont des dérivés cette première vérité. Avec cette compréhension de la vérité première, nous pouvons évaluer nos rapports avec les autres, voir si nous vivons réconciliés avec eux et évaluer aussi les systèmes de gestion dans nos pays respectifs pour voir si les structures qui y sont font respecter cette première vérité et par conséquent si elles sont au service de la réconciliation des gens et de la paix sociale.

En conclusion, chaque fois que nous portons atteinte à cette première vérité, nous provoquons un conflit : c’est-à-dire des rapports faussés entre Dieu et nous ; entre notre semblable et nous ; entre la nature et nous-mêmes. Pour ceux qui ont du mal à comprendre ce que je viens de vous dire en beaucoup de mots, qu’ils lisent l’épisode du premier péché de nos parents : Adam et Eve (Gn 3). Dieu les crée, à son image et à sa ressemblance. Arrive celui qui fait perdre les premiers justes rapports entre Dieu et l’homme, l’homme et son 3 semblable, et l’homme et la nature, et il dit : ce que Dieu vous a dit n’est pas vrai, si vous faites ce que je vous dis, au lieu d’être des créatures, vous serez des créateurs comme Dieu. Ce Diable est appelé justement le « menteur et père du mensonge »(Jn 8,44) parce qu’il a fait perdre la première vérité ; ainsi il a tout brouillé, tout perturbé ; d’où la nécessité d’une réconciliation.

2. LA JUSTICE AU SERVICE DE LA RECONCILIATION

2.1 De quelle justice voulons-nous parler ? (je serai bref car ce concept ne faisait pas partie du sujet !)

Avant de parler de cette « justice » qui est rendue par les cours et tribunaux, il faut parler d’une justice qui justifie la pertinence de cette justice des cours et tribunaux. C’est celle qui consiste à donner à la personne humaine tout ce qu’il faut, afin que celle-ci vive en conformité avec sa dignité. Dans ce sens, on peut dire que la justice vient pour compléter la vérité. Une fois que l’on a perçu la vérité sur la personne humaine, il faut alors donner à cette personne humaine ce qui l’aide à vivre en vérité. Le conflit naît à partir du moment où la personne humaine constate qu’on lui refuse non seulement la reconnaissance de sa dignité (Vérité), mais aussi ce qui est nécessaire à la sauvegarde et à la promotion de cette dignité humaine (Justice : rendre à chacun ce qui lui est dû). Nous affirmons donc que sans la vérité et sans la justice, il n’y a pas de réconciliation véritable possible et par conséquent, il n’y a pas de paix véritable. La question qui reste ici est celle de s’entendre sur la justice, car même la charité est une forme de justice ; de même que, sous un certain le pardon, qui est l’expression réussie de la charité, peut être considéré comme une expression de la justice, comme nous le verrons plus loin. De ce fait, nous sommes d’avis que celui qui veut oeuvrer pour la réconciliation et la paix sur le plan social ou politique, ne peut pas refuser par principe la voie de la justice. Il peut tout au plus suggérer, par réalisme, une expression de justice, mais sans justice du tout, on se prive de toute possibilité d’un processus de réconciliation solide dans la mesure où la découverte de la vérité commande de faire justice à la vérité.

3. LE PARDON AU SERVICE DE LA RECONCILIATION

3.1 Ce que le pardon n’est pas !

Il y a de fausses conceptions du pardon qui font que le pardon soit perçu comme une chose impossible ou alors qui engagent l’individu dans un semblant de pardon qui ne mène pas à la réconciliation. Psychologues comme spirituels reconnaissent cela. Il faut donc les éviter. Voici à grands traits certaines de ces fausses conceptions : - Pardonner ce n’est pas oublier; - Pardonner ce n’est pas nier ce qui s’est passé; - Pardonner, ce n’est pas un simple acte de volonté; il est comme un don gratuit de Dieu. ; - Pardonner, ce n’est pas retrouver la situation d’avant l’offense car on en porte toujours des cicatrices ; - Pardonner ne signifie pas nécessairement renoncer à ses droits; - Pardonner ce ne doit pas être une preuve de supériorité morale. (expliquer chaque affirmation lors de l’exposé).

3.2 Qu’est-ce que le pardon ?

Le pardon est une expérience que l’on vit en contemplant la folie de la croix du Christ, ou mieux en contemplant le Christ acceptant même la croix par amour miséricordieux pour nous. En effet, le vrai pardon qui doit normalement conduire à la réconciliation, c’est le pardon que nous a montré Dieu lui-même à travers son Fils Jésus. On dit justement que « pardonner » c’est « donner par-delà » pour dire que le pardon est offert comme un don par celui qui a été offensé. Contrairement à ce qu’on pense habituellement, le pardon n’est pas donné parce qu’il y a quelqu’un qui le demande ou qui présente ses excuses. Si cela est fait, cela facilite l’octroi du pardon et le processus de réconciliation est plus facile à se faire. Mais le pardon est offert même lorsque l’autre ne le veut pas. Bien entendu, dans le cas où l’autre ne s’implique pas, il n’y a pas de fruit chez l’offenseur et il n’y aura pas de réconciliation, au moins dans l’immédiat.

Mais même là, ce pardon est au service de la réconciliation, parce que, une fois que tu as donné dans ton coeur le pardon à celui qui t’a offensé, tu as déjà ouvert les portes pour que l’autre entre et puisse rétablir les bonnes relations.

Pour essayer de comprendre cela, il faut contempler le Christ qui nous a donné, à tous son pardon. Dieu nous a pardonné tous dans le Christ. Mais la réconciliation effective se fait dans la mesure où chacun de nous reconnaît ce pardon et l’accueille dans sa vie. Mais du côté de Dieu, le pardon a été réel, il nous l’a donné 4 comme un don, au-delà de nos mérites : de son côté, on peut dire que Dieu « ne nous en veut plus » ! (simple façon de parler car Dieu n’en veut à personne). Pardonner, c’est également regarder en face l’offenseur sans le confondre avec le péché. Il suffit de partir de nos propres fragilités pour comprendre que la personne humaine vaut plus que les torts qu’elle peut commettre. Jésus le comprenait bien, chaque fois qu’il avait affaire à un pécheur. Pensons ici aussi à Jésus qui offre son pardon à la femme surprise en flagrant délit d’adultère : au lieu de la faire tuer, conformément à la loi il la libère de son péché, selon sa miséricorde, il reconnaît ainsi que même si cette femme est pécheresse (publique), elle vaut plus que cette fragilité ; ainsi Jésus ouvre pour elle un avenir heureux qui lui fait retrouver sa dignité de fille de Dieu.

3.3 Mais pourquoi pardonner ?

Quelques explications. L’offenseur est un pauvre qu’il faut secourir. En effet, l’offenseur, en commettant un tort, il devient comme un pauvre qui se dépouille de sa dignité. Dans son travail de Président de la Commission « Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, l’archevêque Desmond Tutu répétait souvent : « J’ai souvent dit que l’oppresseur se déshumanisait tout autant, sinon plus, qu’il ne déshumanisait l’opprimé ». Ceci pour dire que celui qui te fait mal, c’est lui qui devient pauvre. Le pardon est offert à l’offenseur comme un don de sauvetage (assistance de personne en danger !) Je ne peux pas laisser un frère se noyer, même s’il m’a fait du mal. On peut dire aussi que pardonner, c’est, en quelque sorte, un choix raisonnable, même psychologiquement et socialement.

En effet, quand quelqu’un t’a fait du tort, pour aussi longtemps que tu n’as pas encore pardonné, au moins dans ton coeur, tu restes bloqué sur ce tort qui, pourtant s’est accompli dans un moment du passé. En d’autres mots, tu t’enfermes dans un passé mauvais qui mobilise même tes énergies et t’empêche d’avancer vers un avenir meilleur. Par le pardon, tu te libères de ce passé et tu t’ouvres à un avenir heureux. En même temps, tu ouvres à l’autre un avenir heureux de retrouver sa dignité. Sans pardon, on n’a pas la paix, on est habité par des sentiments de haine de rancune, de vengeance, on n’est pas tranquille, on se bloque, on ne s’épanouit pas.

Donc le pardon fait du bien à tout le monde à commencer par celui qui le donne. Mais en dernière analyse, la grande motivation du don du pardon à l’autre, c’est l’Evangile qui le recommande, même à ceux qui trouvent que le choix du pardon est de la folie ou de l’idiotie. Et cet Evangile est clair. Il va jusqu’à dire qu’il revient à l’offensé de devoir faire le premier pas. A titre simplement illustratif, pensons à l’épisode de Matthieu 5,23-25 : « Quand donc tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens d’un grief que ton frère a contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis reviens, et alors présente ton offrande. Hâte-toi de t’accorder avec ton adversaire tant que tu es avec lui sur le chemin, de peur que l’adversaire ne te livre au juge, et le juge au garde et qu’on ne te jette en prison ». Même l’Evangile dit donc que nous sommes condamnables si nous n’offrons pas à notre adversaire le pardon. On dira c’est fou, c’est idiot, justement tout ce qu’on a dit à propos de la croix ! Autant dire que cette offre du pardon, c’est une oeuvre de l’Esprit Saint ; cela demande une conversion pour être un homme nouveau, conduit par l’Esprit, car en ce moment « rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1,37).

3.4 Le pardon est un processus :

Il vaudrait la peine de réfléchir sur ce que Jean Monbourquette, prêtre psychologue et professeur à l’Université Saint Paul d’Ottawa, présente comme étapes pour atteindre un pardon authentique. Pour lui, ce processus peut prendre même du temps, mais comme le plus long voyage commence toujours par un premier pas, le plus important est de commencer. A défaut de vous les commenter, faute de temps, je me permets de vous indiquer les 12 étapes que cet auteur indique : Ne pas se venger et faire cesser les gestes offensants ; Reconnaître sa blessure et sa pauvreté ; partager sa blessure avec quelqu’un d’autre ; Bien identifier sa perte pour en faire le deuil ; Accepter la colère et l’envie de se venger (pour pouvoir les dépasser) ; Se pardonner à soi-même ; Comprendre son offenseur (sans l’approuver) ; Trouver dans sa vie un sens à l’offense ; Se savoir digne de pardon et déjà pardonné ; Cesser de s’acharner à vouloir pardonner ; S’ouvrir à la grâce de pardonner ; Décider de mettre fin à la relation ou de la renouveler. Je note en passant deux étapes qui me semblent importantes et décisives : prendre la décision de ne pas se venger, puis s’ouvrir à la grâce de Dieu. 5

3.5 Le pardon divin n’est pas du tout un marchandage.

En partant de la parole de Dieu : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » que nous trouvons en Mat.6,12 et en Luc 11,4 et d’autres semblables comme celle-ci : « Si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos manquements » (Mat.6,15), certains voudraient faire croire que Dieu pose des conditionnalités au pardon. A mon avis, c’est une mauvaise interprétation de la Parole de Dieu voire même une instrumentalisation de cette Parole de Dieu. Dieu qui est Miséricordieux, ne peut pas se mettre à marchander avec nous.

Tout au plus, il nous prend au sérieux et veut notre engagement. Nous ne devons donc pas comprendre cette conditionnalité (si conditionnalité il y a) de façon extrinsèque, à la manière d’un marchandage : je te donne ceci si tu fais cela. Le pardon de Dieu, tout comme son amour reste gratuit. Il faut donc comprendre cela dans le sens où, lorsque tu ne pardonnes pas, tu fermes ton coeur à tout don de Dieu ; ton coeur se remplit de haine, si bien qu’il n’y a plus d’espace pour recevoir la miséricorde. Dieu qui est Amour ne cohabite jamais avec la haine car, l’amour est aux antipodes de la haine, un peu comme la lumière chasse les ténèbres ! Le pardon est donc gratuit :« Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux » (Lc 6,36).

4. LA RECONCILIATION EST OEUVRE DIVINO-HUMAINE

4.1 Qu’est-ce que la réconciliation ?

La réconciliation est un processus qui demande un engagement et qui coûte cher. Desmond Tutu, Archevêque Anglican en Afrique du Sud disait : « On a une idée bien étrange de la réconciliation. On pense que cela consiste à se taper dans le dos en disant que tout va bien. La réconciliation coûte beaucoup d’efforts, et elle implique la confrontation. Si ce n’était pas le cas, Jésus-Christ ne serait pas mort sur la croix. Il est venu et a réussi à nous réconcilier. Mais il a été confronté aux autres et a été cause de divisions » » (Timothy ASH, « Pas d’amnistie sans vérité ; Entretien avec l’Archevêque Desmond Tutu », dans Esprit, décembre 1997, p.69). Pour vous donner l’occasion de comprendre ce qu’est la réconciliation et même ses exigences, je vous propose de contempler avec moi un exemple instructif de réconciliation et qui doit rester notre modèle et notre source d’inspiration. C’est celui de l’Epître aux Ephésiens 2, 11-19.

4.2 Dieu nous a donné en son Fils un exemple de réconciliation (Eph.2,12-19)

D’abord, comme le dit si bien l’exégète Laurent Monsengwo dans sa catéchèse donnée au Congrès eucharistique de Dublin sur « Communion et réconciliation », en lisant cette Epître qui parle de réconciliation, on voit une insistance sur le Christ : « rappelez-vous qu’en ce temps-là vous étiez sans le Christ »(donc privés de tout) v.12 ; tandis que « maintenant dans le Christ » vous êtes proches dans le sang du Christ v.13. Cette insistance qui montre la centralité de la personne du Christ dans la réconciliation nous invite à comprendre que « toute réconciliation se fait les yeux fixés sur la croix de Jésus ». En dehors de cette contemplation du Christ sur sa croix et dans sa résurrection, notre oeuvre de réconciliation perd sa spécificité chrétienne. Cela signifie que si nous voulons être « Lumière du monde » dans nos pays, levain du processus de réconciliation dans nos sociétés, nous devons fixer nos yeux sur le Christ en Croix au moment où il offre son sacrifice salvateur.

Ensuite, étant donné que la réconciliation fait penser à une rupture de communion entre des individus ou des communautés, dans nos situations, nous devons oser voir ensemble cette rupture, identifier les protagonistes de cette rupture et oser accepter des responsabilités partagées sans tomber dans la globalisation. Il est erroné que chaque groupe, dans nos sociétés, se présente toujours comme victime et jamais comme bourreau. En réalité ce qu’il nous faudrait d’abord comprendre comme chrétiens, c’est que la première victime dans nos conflits qui portent un coup grave et même mortel à la dignité et à la vie de la personne humaine, c’est Dieu. Notre agression s’adresse d’abord à Dieu qui a créé cette personne humaine. Alors cela doit nous pousser à demander pardon d’abord à Dieu puis au frère ou à la soeur. C’est en recevant de Dieu la grâce de la réconciliation que nous pouvons nous réconcilier avec les frères et soeurs.

Pour ce qui est du processus et des étapes, nous pouvons affirmer que le premier pas est celui d’oser reconnaître la vérité : la reconnaître devant Dieu, devant la société et surtout devant les victimes. David dans sa prière de demande de pardon dit à Dieu : « Tu veux au fond de moi la vérité ». Reconnaître la vérité permet à Dieu de restaurer dans l’homme un coeur pur capable de réconciliation. Le deuxième pas est la justice. Ce n’est pas pour rien que l’Eglise propose toujours comme piliers de la paix : la Vérité, la Justice ; l’Amour et le Pardon. Dans l’Epître ci-haut citée, le Christ est devenu notre paix, notre justice, c’est-à-dire, celui qui a payé le prix pour rétablir nos relations avec Dieu. La théologie de la Rédemption parle justement du Christ comme le rachat, la rançon que Dieu a payée au Diable qui nous avait pris pour ses esclaves pour qu’il nous libère. Donc, 6 pouvoir répondre de sa faute devant la justice fait partie du processus de réconciliation.

Mais on saura que la justice de Dieu est miséricorde et pitié. C’est ici alors qu’intervient justement le pardon que nous puisons dans Dieu pour l’offrir aux autres. Et sachons que le vrai pardon vient de l’Amour divin en nous. Pour arriver à la réconciliation, il y a une condition. C’est celle d’accepter de tuer la haine dans nos coeurs à l’exemple du Christ. Le Christ a tué la haine dans sa chair, par la croix. Les v.15-16 disent justement que le Christ « a détruit la haine dans sa chair » ; « par la croix, il a tué la haine en lui-même » afin de pouvoir faire des deux en un seul Homme nouveau. C’est cela la réconciliation ; c’est une oeuvre de l’Esprit, c’est une création nouvelle qui exige aux uns et aux autres de quitter leurs chairs habituelles pour avoir une nouvelle chair en Christ.

En définitive, la réconciliation n’est possible qu’aux gens qui acceptent les sacrifices et l’accueil de la grâce de Dieu qui nous renouvelle. La vraie réconciliation doit aussi profiter du dialogue. Le processus de réconciliation requiert un dialogue sincère. Si nous regardons dans cet exemple de Dieu, c’est à travers l’envoi de son Fils, que Dieu a offert son pardon au monde pour se réconcilier toute l’humanité. Notons que dans cette réconciliation, Dieu a voulu se présenter comme un Dieu Verbe, c’est-à-dire Parole qui se fait chair, tellement proche de l’homme qu’il est l’un de nous, pour mieux dialoguer avec nous et nous offrir son pardon. La réconciliation est donc un processus dialogique : Dieu a voulu entrer en dialogue permanent avec son humanité, pour pouvoir lui offrir son pardon, sa réconciliation son salut.

Comprenons à ce niveau que l’une des exigences du dialogue est non seulement le respect de l’autre, mais aussi la capacité de pouvoir entrer dans la peau de l’autre : Dieu se fait l’un de nous pour nous montrer l’estime qu’il a de notre nature mais aussi pour sentir les choses comme nous les sentons dans notre chair. De « victime » que nous nous croyons toujours, entrons de temps en temps, dans la peau de « bourreau » pour comprendre ce qu’il sent et qu’il vit.

On peut donc affirmer qu’en dehors d’un processus de dialogue, il n’y a pas de réconciliation, même si dans son coeur on a déjà offert son pardon. Même humainement et socialement, il n’y a pas de cadeau intéressant qui ne soit précédé ou accompagné par une parole, un échange de paroles, un dialogue. Lorsque nous disons qu’il faut dialoguer entre les conjoints au sein d’un ménage ; entre les parents et les enfants au sein d’une famille, entre les partenaires sociaux dans une entreprise ou dans une société ; entre les protagonistes politiques, ce n’est pas par effet de mode. C’est par conviction, car même notre Dieu s’est contraint à dialoguer avec l’homme pour se réconcilier avec lui et lui offrir son salut. A propos de ce dialogue, il est important de lever certaines équivoques. Il faut éviter le prétexte de refuser l’autre, parce qu’il serait mauvais. Au contraire, plus il est mauvais, plus il a besoin d’être approché pour être sauvé. C’est cela qui s’est passé entre Dieu et nous : par rapport à Dieu, nous étions si mauvais au regard d’un Dieu trois fois Saint que ce Dieu aurait pu trouver toutes les raisons du monde de ne pas s’approcher de nous. Mais, non seulement il s’est approché de nous, mais aussi il s’est fait l’un de nous afin de nous sauver. Avant de terminer cet entretien, il convient de rappeler que toute oeuvre de réconciliation est toujours exigeante. Elle comporte une croix qu’il faut accepter. Les artisans sociaux de paix aiment présenter cette exigence, à travers le symbolisme d’une greffe. Pour qu’une greffe prenne, disent-ils, il faut deux entités, deux blessures, et deux sangs qui se mélangent pour trouver une compatibilité.

Or qui dit 2 blessures ou 2 sangs, dit en fait, efforts, sacrifices, souffrance. Mais alors, c’est à cette seule condition que le bon résultat est atteint faisant oublier que chaque entité a dû perdre quelque chose, pour faire une réalité nouvelle de communion ( Lire A. Bour, p. 133).

Sommes-nous prêts à entrer dans ce processus de greffe et à payer le prix de ce saignement salvateur ? En tout cas, selon le Saint Père Benoît XVI, si nous voulons être crédibles, nous devons aller, quoiqu’il en coûte sur cette voie de la réconciliation. Il dit en effet au n. 174 de Africae Munus : « Le visage de l’évangélisation prend aujourd’hui le nom de réconciliation, « condition indispensable pour instaurer en Afrique des rapports de justice entre les hommes et pour construire une paix équitable et durable dans le respect de chaque individu et de tous les peuples ». N’ayons pas peur l’Esprit est à l’oeuvre pour faire de nous des créatures nouvelles capables de pardon et de réconciliation. Engageons-nous. Je vous remercie. Fait à Ngozi, ce 22 Août 2012, Marie Reine.

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Gervais BANSHIMIYUBUSA

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